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qu’elle fût, je crois, tombée morte, si je ne l’eusse dissuadée. Ce qu’il y avait de plus horrible à envisager pour cet esprit où l’orgueil combattait la luxure, c’était d’encourir mon mépris. C’était là un si grand désastre pour elle, qu’elle n’y eût pas survécu. Je crois qu’elle ne pouvait pas se représenter l’horreur d’une telle situation, puisqu’elle se laissait si facilement persuader que j’étais sa dupe.

Il importait donc de conserver ce rôle sans m’en lasser, quelque irritant et humiliant qu’il pût être. Demander une confession n’eût pas été seulement tyrannique, cela eût été puéril. Pour se confesser avec sincérité, il faut être repentant ; Félicie n’en était qu’à l’humiliation intérieure. Pour l’amener à l’attendrissement, il eût fallu m’attendrir moi-même. Cela, je ne le pouvais pas sans me dégrader. Montrer mon cœur brisé à cette femme brisée par un autre, c’était une lâcheté impossible.

Elle éprouvait pourtant le besoin de me confier une partie de ses peines, et, si je l’eusse permis, elle m’eût désormais parlé de Tonino à toute heure, aimant mieux en dire du mal que de n’en point parler ; mais je jugeai que ce soulagement était pire que le silence : je le lui interdis en lui répétant d’un ton sévère et froid qu’il ne fallait pas juger Tonino sur un passé qu’elle avait fait elle-même, mais qu’il fallait voir comment il gouvernerait l’avenir en se voyant seul responsable de sa propre existence et de celle de sa famille. Elle prit d’abord de l’humeur et m’accusa de