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tout droit est corrélatif d’un devoir. Je cherchai à bien définir et à bien connaître mon devoir.

Nous marchons tous, et quelques-uns de nous très-vite. J’avais dépassé mon demi-siècle. Le temps n’était plus où je me plaisais à la lecture d’un roman intitulé Jacques, qui a fait quelque bruit et qui m’a ému dans ma jeunesse. C’était une œuvre de pur sentiment que l’auteur a refaite plusieurs fois sous d’autres titres, et avec des réflexions, on pourrait dire des acquisitions nouvelles qui ont dérouté les critiques inattentifs. J’avais assez bien compris l’ensemble de son œuvre et suivi la marche de ses idées. Donc, l’opinion de madame Sand, ou, pour mieux dire, ses aperçus et ses recherches n’étaient pas sans importance pour moi. Mes instincts se rapportaient assez aux siens, et j’avais lu et commenté Jacques comme tout mari tant soit peu littéraire l’a lu et commenté en son temps.

C’était une époque encore agitée par l’irruption des vues passionnées du romantisme, l’époque provenant des René, des Lara, des Werther, des Obermann, des Childe Harold, des Rolla, types des meurtris, des désespérés ou des fatigués de la vie. Jacques était un petit bâtard de cette grande famille de désillusionnés qui avaient eu leur raison d’être, historique et sociale. Il entrait dans le roman, déjà pâli par les déceptions ; il croyait pouvoir revivre à l’amour et il ne revivait pas. Il était l’Obermann du mariage, ou plutôt le mariage n’était pour lui que la goutte de fiel qui fait déborder la coupe. Il se tuait pour laisser aux autres un bon-