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imminente qu’elle ne me paraissait. Qui sait si, en la poussant un peu par mégarde, Tonino ne l’eût pas fait descendre avec le terrain en talus qui me portait. Et qui sait aussi, si, en plantant mon bâton dans le sable, je n’eusse pas pu déterminer l’avalanche et précipiter avec moi ces faiseurs de projets qui bâtissaient leur nid sur ma tombe ?

J’étais las d’écouter, j’en savais assez. Je ne sais plus ce qu’ils se dirent ; quand ils se furent éloignés, je ne les écoutais plus, je ne les surveillais pas, tout de leur part m’était devenu indifférent.

Je savais dès lors tout ce qu’il m’importait de savoir : le passé de cette liaison, le présent, les aspirations vers l’avenir ; le degré actuel de sincérité, de lucidité ou d’entraînement de l’un et de l’autre coupable, les audaces, les sophismes, les craintes et les espérances, je savais tout. Mon rôle changeait de phase. Je n’avais plus à m’éclairer, l’enquête était finie ; j’avais à examiner la cause en moi-même et à prononcer le jugement.

Mais, quelque irrité et indigné que je fusse, j’étais un homme trop réfléchi pour ne pas voir qu’avant de juger les coupables il fallait juger l’importance du délit, et, avant cela encore, juger l’espèce humaine. Il fallait même remonter plus haut et se perdre dans la contemplation de l’infini ; car nous ne pouvons définir l’homme sans mettre Dieu en cause.

Je ne pouvais procéder que d’après mes propres lumières, et je n’avais pas attendu jusqu’à ce jour