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ment prévoir, c’est que les vieux doivent partir avant les jeunes. Le fruit mûr tombe le premier. Pour conclure, le bon Tonino, tout en me pleurant d’avance, promettait à ma femme de m’enterrer et de me survivre. Quant à la sienne, elle était moins forte qu’elle ne le paraissait : elle avait failli mourir en donnant le jour à son premier enfant, et, puisque Félicie le forçait à lui tout dire, il lui confiait, d’un ton odieusement dolent, que, depuis ce temps-là, la pauvre Vanina avait la poitrine faible ; enfin, disait-il, il ne fallait pas rendre l’avenir impossible par la haine et l’impatience du présent. Il y a une destinée ; il y croyait, lui, il y avait toujours cru. Il s’était dit dès l’adolescence : « Je serai le mari de Félicie, » et, le jour où il avait épousé Vanina, une voix fantastique lui avait dit au pied de l’autel : « C’est en attendant que tu possèdes celle que tu aimes ! » La possession était arrivée, le mariage viendrait.

— Je ne sais pas quand, je ne sais pas comment, ajoutait-il ; mais c’est écrit, je le sens, je le sais, je le vois, et je te le prédis ! tu verras ! crois-moi ou tais-toi, ne m’ôte pas le rêve qui me fait vivre !

Je souriais de mépris en entendant Tonino parler ainsi de la destinée arrangée à sa guise. Placé en contre-bas de la roche qui nous séparait et qui surplombait l’abîme, je regardais les assises minées de cette masse qu’emporterait probablement le prochain orage, et je me disais qu’elle était peut-être encore plus ruinée en dessous et menacée d’une chute plus