Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/193

Cette page a été validée par deux contributeurs.

passion au devoir. Ce n’est pas sans peine qu’elle avait consenti à le comprendre.

Du reste, je l’égayais ; je venais à bout de la faire rire d’un propos de commère ou d’une maxime de paysan avare. Il est bien certain que j’avais fait des jaloux, et que Sixte More particulièrement, bien qu’il ne fût pas un méchant homme, avait glosé sur notre mariage. Qu’est-ce que cela pouvait me faire ? Je trouvais dans le témoignage de ma conscience une sécurité complète. Félicie en était jalouse et me le disait. J’avais bien de la peine à obtenir qu’elle se pardonnât le passé, et qu’elle s’estimât assez elle-même pour laisser couler l’injure ; mais je réussissais à lui faire voir le côté ridicule de la médisance et à l’empêcher d’en grossir le côté odieux.

En dépit de ces troubles passagers, nous étions heureux. Si Félicie ne réalisait pas l’idéal de sérénité et de charme intellectuel que j’avais pu rêver dans ma jeunesse, je ne le savais plus, je ne m’en souvenais pas. Il est un moment de la vie où l’on n’a plus d’exigence qu’envers soi-même. On sent le possible de la perfection, puisqu’on l’adore ; mais on en sent le difficile, puisqu’on ne l’atteint pas soi-même. Cette poursuite du beau et du bien, toujours vaine malgré de grands et sincères efforts, rend indulgent pour ceux qu’on aime. On voudrait leur épargner les écueils où l’on s’est heurté, les épines où l’on se déchire encore, et l’on se fait humble à force d’ambition, doux à force de zèle.