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vous trouvez que je suis trop crédule après avoir été trop soupçonneux, avertissez-moi.

Je ne pus obtenir aucune réponse satisfaisante : Félicie était sous le coup d’une terreur inouïe de ce mépris dont je l’avais menacée.

— Laissez-moi me remettre de cela, dit-elle. Aujourd’hui, je suis trop bouleversée. J’ai veillé et pleuré toute la nuit ; l’arrivée de Tonino m’a saisie. Je me suis imaginé que vous me croiriez complice de son retour, qui est une désobéissance ; j’ai été véritablement en colère, je l’ai haï comme s’il venait m’ôter votre estime, me voler le seul bien que j’aie à présent en ce monde. Vous me demandez s’il a eu réellement de mauvaises pensées, je n’en sais plus rien, je n’ose plus le croire ; ce serait donc ma faute ? J’en aurais donc eu aussi ? Vous avez dit qu’une femme était toujours complice d’un homme qui la désire… Peut-être que vous me méprisez déjà ! Cette idée-là me rend folle, et, s’il faut que la présence de Tonino vous rende jaloux un jour ou l’autre, comment voulez-vous que je l’accepte avec plaisir ? Que me parlez-vous du besoin que j’ai de le voir, du devoir que j’ai de l’aimer ? Il me semble que je le hais depuis que vous m’avez menacée de votre indifférence. Et vous voulez que je vous dise si vous faites bien ou mal de l’accueillir avec bonté ! Est-ce que je sais, moi ? Peut-être me croirez-vous un mauvais cœur si je vous dis que vous avez tort, et une mauvaise conscience si je vous dis que vous avez raison.