Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/155

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vie champêtre. C’était bien vraiment le seul état qu’il pût exercer. Pour tout le reste, il avait une teinture insuffisante, et sa nature rêveuse et contemplative ne se prêtait nullement aux prodiges du travail intellectuel qu’il eût fallu faire pour réparer le temps perdu.

Il fallait donc le réintégrer dans la famille, sauf à l’envoyer dans les hauts, comme il disait, s’il me donnait quelque véritable sujet de plainte. Au besoin, on pouvait l’occuper encore plus loin, du côté de Sion, où Félicie, par suite de l’héritage de son frère, avait quelques autres propriétés à faire valoir.

J’accueillis donc le retour du jeune comte avec une cordialité sincère, résolu à être d’autant plus sévère envers lui, s’il me trompait, mais ne pouvant me décider à admettre que cela fût possible. L’amitié que je lui témoignais lui fit verser des larmes, et il me jura passionnément qu’il m’aimait de toute son âme. À ces effusions se mêlait l’expression de la douleur qu’il venait d’éprouver en perdant son père. Il en parlait en des termes si naïfs et si tendres, qu’il m’émut, et que je me serais trouvé odieux de le bannir en pareille circonstance.

Je rappelai Félicie, je lui montrai autant de confiance qu’à lui. Elle garda une attitude assez froide avec nous deux, et parut gênée et comme impatientée quand Tonino insista pour savoir la cause de sa dureté envers lui.

— Ne me direz-vous pas, s’écriait-il avec animation, ce que j’ai fait pour vous déplaire depuis la mort de