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jurer de l’épouser. L’idée de la mort, écartée dans la première joie de la réunion, était revenue fixe et redoutable dans l’ivresse.

Jean était habituellement sobre. Je ne le vis donc pas sans inquiétude continuer à boire et à s’étourdir les jours suivants, comme si, se croyant condamné à une fin prochaine, il voulait l’oublier et noyer dans le vin ses idées noires.

Félicie s’en inquiéta aussi. Elle essaya de l’arrêter, elle s’y prit mal, elle échoua. Je fus plus habile ou plus heureux, je rattachai Jean à sa chère idée, et il reprit avec entrain les travaux de l’île Morgeron. Nous y étions de nos personnes et de nos bras depuis quelques jours, quand un orage gonfla le torrent et nous amena les premières terres que le brisement de la roche nous permettait enfin d’attendre et de recueillir. À ce premier succès, Jean devint comme fou d’orgueil et de joie. Il parla de dresser une tente sur son nouveau domaine aussitôt que le soleil aurait séché le sol, et d’y donner une fête à tous les habitants riches et pauvres de la contrée ; mais tout à coup, jetant sa pioche avec une sorte d’égarement :

— À quoi bon, s’écria-t-il, avoir pris tant de peine et tant combattu, pour ne pas jouir du triomphe ?

Félicie, qui était présente, s’effraya, et me demanda vivement l’explication de ce désespoir subit. Je dus lui avouer que, depuis quelque temps, une idée sombre poursuivait son pauvre frère. Elle s’en alarma beaucoup.