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veux donc être aimée ni par pitié ni par devoir ; M. Sylvestre l’a compris, et je lui sais gré de ne m’avoir pas laissée prendre le change.

Elle nous quitta en nous disant un bonsoir amical, et, comme Jean restait triste et absorbé, je voulus lui démontrer que, Félicie étant parfaitement calme et nullement piquée, j’avais bien agi dans l’intérêt de tous en faisant cesser un quiproquo ridicule et pénible.

Jean secoua la tête.

— Ma sœur est trop fière, dit-il, pour se fâcher de votre froideur. Elle n’en souffre peut-être pas : je ne sais plus rien de ce qui se passe entre vous deux ; mais je vous déclare que, si elle en souffre, elle en souffre beaucoup. Personne ne le saura, mais le mal intérieur sera grand. C’est une fille qui ne sent rien à demi.

L’idée du chagrin de Félicie me rendit très-malheureux, je l’avoue, et vingt fois, le lendemain, je fus prêt à lui dire que j’avais menti, que je l’aimais passionnément et que j’étais jaloux. Je ne pus cependant me résoudre à cette humiliation, d’autant plus que cette nature énergique ne donnait guère de prise au retour. Son parti était pris, il semblait même qu’il le fût d’avance, et elle ne laissa paraître ni froissement d’amour-propre, ni pitié pour elle-même, ni regret de son illusion perdue. Elle travailla comme à l’ordinaire, prodigua les mêmes soins à la famille et à moi, et il n’y eut pas sur son visage la moindre trace de larme,