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je serai forcé de traverser ce fossé ; me le permettez-vous ?

— Non, non, ne faites pas cela ! répondit l’enfant, en qui un fonds d’assurance mutine parut dominer trés-vite le premier accès de timidité, c’est peut-être dangereux. Si la glace ne porte pas ?

— N’est-ce que cela ? repris-je. C’est bien peu de chose que de courir un petit danger pour votre service.

Et je traversai résolument la glace, qui criait un peu. En voyant qu’en effet il y avait bien quelque danger pour moi, car le fossé était large et profond, l’enfant rougit encore et descendit quelques marches du petit escalier pour venir à ma rencontre. Elle ne riait plus.

— Eh bien, qu’est-ce que cela ? Que faites-vous donc, petite sœur ? dit l’aînée, qui venait la rejoindre, et qui me regarda d’un air de surprise et de mécontentement. Celle-ci était déjà une jeune personne. Elle connaissait sans doute déjà la prudence. Elle avait au moins une vingtaine d’années.

— Vous voyez, Mademoiselle, lui dis-je en tendant à sa sœur le nœud de rubans au bout de ma canne, je m’arrête à la limite de votre empire, je ne me permets pas de mettre le pied seulement sur la première marche de l’escalier.

Elle vit tout de suite que j’étais un homme bien élevé, et me remercia d’un doux et charmant sourire. Quant à l’enfant, elle saisit le nœud avec vivacité, et me fit signe de ne pas m’arrêter sur la glace. Je m’en retournai lentement et les saluai toutes deux de l’autre rive. Elles me crièrent merci avec beaucoup de grâce ; puis j’entendis l’aînée dire à la petite : S’il voyait cela, il nous gronderait ! — Sauvons-nous ! répondit l’enfant en recommençant son rire frais et clair comme une clochette d’argent. Elles se prirent par la main, et partirent en courant