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huit jours je serais auprès d’elle pour l’aimer dans les douceurs du mystère.

J’eus un peu de peine à la persuader, mais j’étais assez ému, assez peu sûr de ma force pour qu’elle crût encore à la sienne. Elle partit, et je restai brisé de tant d’émotions, fatigué de ma victoire, incertain si j’allais me sauver au bout du monde, ou la rejoindre pour ne plus la quitter.

Je fus plus faible après son départ que je ne l’avais été en sa présence. Elle m’écrivait des lettres délirantes. Il y avait en moi une sorte d’antipathie instinctive que son langage et ses manières réveillaient par instants, et qui s’effaçait quand son souvenir me revenait accompagné de tant de preuves d’abnégation et d’emportement. Et puis la solitude me devenait insupportable. D’autres folies me sollicitaient. La Boccaferri m’abandonnait, Célio m’avait trompé. Le monde était vide, sans un être à aimer exclusivement. Les huit jours expirés, je fis venir un voiturin pour me rendre à Milan.

On chargeait mes effets, les chevaux attendaient à ma porte ; j’entrai dans mon atelier pour y jeter un dernier coup d’œil.

J’étais venu à Turin avec l’intention d’y passer un certain temps. J’aimais cette ville, qui me rappelait toute mon enfance, et où j’avais conservé de bonnes relations. J’avais loué un des plus agréables logements d’artiste ; mon atelier était excellent, et, le jour où je m’y étais installé, j’avais travaillé avec délices, me flattant d’y oublier tous mes soucis et d’y faire des progrès rapides. L’arrivée de la duchesse avait brisé ces doux projets, et, en quittant cet asile, je tremblai que tout ne fût brisé dans ma vie. Il me prit un remords, une terreur, un regret, sous lesquels je me débattis en vain. Je me jetai sur un sofa ; on m’appelait dans la rue ; le conducteur du voiturin s’impatientait ;