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avouer la supériorité d’un talent qu’on n’applaudit jamais ? Mais allez ce soir au théâtre, et vous verrez comment marchera l’opéra ; on s’apercevra un peu de la lacune creusée par l’absence de la Boccaferri ! Il est vrai qu’on ne dira pas à quoi tient ce manque d’ensemble et d’âme collective. Ce sera l’enrouement de celui-ci, la distraction de celui-là ; les voix s’en prendront à l’orchestre, et réciproquement. Mais moi, qui serai spectateur ce soir, je rirai de la déroute générale, et je me dirai : Sot public, vous aviez un trésor, et vous ne l’avez jamais compris ! Il vous faut des roulades, on vous en donne en veux-tu ? en voilà, et vous n’êtes pas content ! Tâchez donc de savoir ce que vous voulez. En attendant, moi, j’observe et je me repose.

— Vous ne m’apprenez rien, Célio ; précisément hier soir je rompais une lance contre la duchesse de… pour le talent élevé et profond de mademoiselle Boccaferri.

— Mais la duchesse ne peut pas comprendre cela, reprit Célio en haussant les épaules. Elle n’est pas plus artiste que ma botte ! Et il faut être extrêmement fort pour reconnaître des qualités enfouies sous un fiasco perpétuel, car c’est là le sort de la pauvre Boccaferri. Qu’elle dise comme un maître les parties les plus insignifiantes de son rôle, quatre ou cinq vrais dilettanti épars dans les profondeurs de la salle souriront d’un plaisir mystérieux et tranquille. Quelques demi-musiciens diront : « Quelle belle musique ! comme c’est écrit » sans reconnaître qu’ils ne se fussent pas aperçus de cette perfection dans le détail d’une belle chose si la seconda donna n’était pas une grande artiste. Ainsi va le monde, Salentini ! Moi, je veux faire du bruit, et je cherche le succès de toute la puissance de ma volonté, mais c’est pour me venger du public que je hais, c’est pour le mépriser davantage. Je me suis trompé sur les moyens, mais