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qu’une vengeance. Mon ennemi avait prédit que je ne serais rien, parce que ma mère m’avait trop gâté. Je veux l’écraser d’un éclatant démenti à la face du monde. Quant à la Boccaferri, je ne veux pas être pour elle ce que cet homme maudit a été pour ma mère, et je le serais ! Voyez-vous, il y a une fatalité ! Les orages et les malheurs qui nous frappent dans notre enfance s’attachent à nous comme des furies, et, plus nous tâchons de nous en préserver, plus nous sommes entraînés, par je ne sais quel funeste instinct d’imitation, à les reproduire plus tard : le crime est contagieux. L’injustice et la folie, que j’ai détestées chez l’amant de ma mère, je les sens s’éveiller en moi dès que je commence à aimer une femme. Je ne veux donc pas aimer, car, si je n’étais pas la victime, je serais le bourreau.

— Donc vous avez peur aussi, quelquefois et à votre insu, d’être la victime ? Donc vous êtes capable d’aimer ?

— Peut-être ; mais j’ai vu, par l’exemple de ma mère, dans quel abîme nous précipite le dévouement, et je ne veux pas tomber dans cet abîme.

— Et vous ne croyez pas que l’amour puisse être soumis à d’autres lois qu’à cette diabolique alternative du dévouement méconnu et immolé, ou de la tyrannie délirante et homicide ?

— Non !

— Pauvre Célio, je vous plains, et je vois que vous êtes un homme faible et passionné. Je vous connais enfin : vous êtes destiné, en effet, à être victime ou bourreau ; mais vous ne faites là le procès qu’à vous-même, et le genre humain n’est pas forcément votre complice.

— Ah ! vous me méprisez, parce que vous avez meilleure opinion de vous-même ? s’écria Célio avec amertume ; eh bien, attendons. Si vous êtes sincère, nous philosopherons ensemble un jour : nous ne disputerons