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vus monter et sortir de la ville. A présent me voilà réglant leurs comptes, en attendant que j’aille à la direction théâtrale pour dégager la Cécilia de toutes poursuites. Ne me questionnez pas, puisque j’ai la bouche scellée ; mais je vous prie de remarquer que je suis fort actif et fort joyeux ce matin, que je ne songe pas à ménager la fraîcheur de ma voix, enfin que je fais du dévouement pour mes amis, ni plus ni moins qu’un simple épicier. Que cela ne vous émerveille pas trop ! je suis obligeant, parce que je suis actif, et qu’au lieu de me coûter, cela m’occupe et m’amuse, voilà tout.

— Vous ne pouvez même pas me dire vers quelle contrée ils se dirigent !

— Pas même cela. C’est bien cruel, n’est-ce pas ? Prenez-vous-en à la Boccaferri, qui n’a pas fait d’exception en votre faveur au silence qu’elle m’imposait, tant les femmes sont ingrates et perverses !

— J’avais cru que vous, vous faisiez une exception en faveur de mademoiselle Boccaferri dans vos anathèmes contre son sexe ?

— Parlons-nous sérieusement ? Oui, certes, elle est une exception, et je le proclame. C’est une femme honnête ; mais pourquoi ? Parce qu’elle n’est point belle.

— Vous êtes bien persuadé qu’elle n’est pas belle ? repris-je avec feu ; vous parlez comme un comédien, mais non comme un artiste. Moi, je suis peintre, je m’y connais, et je vous dis qu’elle est plus belle que la duchesse de X…, qui a tant de réputation, et que la prima donna actuelle, dont on fait tant de bruit.

Je m’attendais à des plaisanteries ou à des négations de la part de Célio. Il ne me répondit rien, changea de vêtements, et m’emmena déjeuner. Chemin faisant, il me dit brusquement : — Vous avez parfaitement raison, elle est plus belle qu’aucune femme au monde. Seulement