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perdu de leur énergie. Je ne puis le rendre riche comme il le faudrait à un homme d’une imagination si féconde et si ardente ; mais je puis le préserver de la misère et de l’abattement. Je ne le laisserai pas tomber ; je suis forte ! »

La Boccaferri parlait avec un feu extraordinaire, quoique ce feu fût encore contenu par une habitude de dignité calme.

Elle se transformait à mes yeux, ou plutôt elle me révélait ces trésors de l’âme que j’avais toujours pressentis en elle. Je pris sa main très-franchement cette fois, et je la baisai sans arrière-pensée.

— Vous êtes une noble créature, lui dis-je, je le savais bien, et je suis fier de l’effort que vous daignez faire pour m’avouer cette grandeur que vous cachez aux yeux du monde, comme les autres cachent la honte de leur petitesse. Parlez, parlez encore ; vous ne pouvez pas savoir le bien que vous me faites, à moi qui suis né pour croire et pour aimer, mais que le monde extérieur contriste et alarme perpétuellement.

— Mais je n’ai plus rien à vous dire, mon ami. La Floriani n’est plus, mais elle est toujours vivante dans mon cœur. Son fils aîné commence la vie et tâte le terrain de la destinée d’un pied hasardeux, téméraire peut-être. Est-ce à moi de douter de lui ? Ah ! qu’il soit ambitieux, imprudent, impuissant même dans les arts, qu’il se trompe mille fois, qu’il devienne coupable envers lui-même, je veux l’aimer et le servir comme si j’étais sa mère. Je puis bien peu de chose, je ne suis presque rien ; mais ce que je peux, ce que je suis, j’en voudrais faire le marchepied de sa gloire, puisque c’est dans la gloire qu’il cherche son bonheur. Vous voyez bien, Salentini, que je n’ai pas ici l’amour en tête. J’ai l’esprit et le cœur forcément sérieux, et je n’ai pas de temps à perdre,