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Je nie également que le défaut de plénitude de son organe en exclue le charme. D’abord ce n’est pas une voix malade, c’est une voix délicate, de même que la beauté de mademoiselle Boccaferri n’est pas une beauté flétrie, mais une beauté voilée. Cette beauté suave, cette voix douce, ne sont pas faites pour les sens toujours un peu grossiers du public ; mais l’artiste qui les comprend devine des trésors de vérité sous cette expression contenue, où l’âme tient plus encore qu’elle ne promet et ne s’épuise jamais, parce qu’elle ne se prodigue point.

— Oh ! mille et mille fois pardon, mon cher Salentini ! s’écria la duchesse en riant et en me tendant la main d’un air enjoué et affectueux : je ne vous savais pas amoureux de la Boccaferri ; si je m’en étais doutée, je ne vous aurais pas contrarié en disant du mal d’elle. Vous ne m’en voulez pas ? vrai, je n’en savais rien !

Je regardai attentivement la duchesse. Qu’elle eût été sincère dans son désintéressement, je redevenais amoureux ; mais elle ne put soutenir mon regard, et l’étincelle diabolique jaillit du sien à la dérobée.

— Madame, lui dis-je sans baiser sa main que je pressai faiblement, vous n’aurez jamais à vous excuser d’une maladresse, et moi, je n’ai jamais été amoureux de mademoiselle Boccaferri avant cette représentation, où je viens de la comprendre pour la première fois.

— Et c’est moi qui vous ai aidé, sans doute, à faire cette découverte ?

— Non, Madame, c’est Célio Floriani.

La duchesse frémit, et je continuai fort tranquillement : — C’est en voyant combien ce jeune homme avait peu de conscience que j’ai senti le prix de la conscience dans l’art lyrique, aussi clairement que je le sens dans l’art de la peinture et dans tous les arts.

— Expliquez-moi cela, dit la duchesse affectant de