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Elle entra en même temps que Célio, et, bien qu’elle ne s’occupât jamais du public lorsqu’elle était à son rôle, elle tourna les yeux vers la loge d’avant-scène où j’étais avec la duchesse. Il y eut dans ce regard furtif et rapide quelque chose qui me frappa : j’étais disposé à tout remarquer et à tout commenter ce soir-là.

Célio Floriani était un garçon de vingt-quatre à vingt-cinq ans, d’une beauté accomplie. On disait qu’il était tout le portrait de sa mère, qui avait été la plus belle femme de son temps. Il était grand sans l’être trop, svelte sans être grêle. Ses membres dégagés avaient de l’élégance, sa poitrine large et pleine annonçait la force. La tête était petite comme celle d’une belle statue antique, les traits d’une pureté délicate avec une expression vive et une couleur solide ; l’œil noir étincelant, les cheveux épais, ondés et plantés au front par la nature selon toutes les règles de l’art italien ; le nez était droit, la narine nette et mobile, le sourcil pur comme un trait de pinceau, la bouche vermeille et bien découpée, la moustache fine et encadrant la lèvre supérieure par un mouvement de frisure naturelle d’une grâce coquette ; les plans de la joue sans défaut, l’oreille petite, le cou dégagé, rond, blanc et fort, la main bien faite, le pied de même, les dents éblouissantes, le sourire malin, le regard très-hardi… Je regardai la duchesse… Je la regardai d’autant mieux, qu’elle n’y fit point attention, tant elle était absorbée par l’entrée du débutant.

La voix de Célio était magnifique, et il savait chanter ; cela se jugeait dés les premières mesures. Sa beauté ne pouvait pas lui nuire : pourtant, lorsque je reportai mes regards de la duchesse à l’acteur, ce dernier me parut insupportable. Je crus d’abord que c’était prévention de jaloux ; je me moquai de moi-même ; je l’applaudis, je l’encourageai d’un de ces bravo à demi-voix que l’acteur