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qu’il porte est un rude fardeau à soutenir ; on attend beaucoup de lui : noblesse oblige !

— C’est une cruauté, Madame, dit le marquis R., qui se tenait au fond de la loge, le public est bête ; il devrait savoir que les personnes de génie ne mettent au monde que des enfants bêtes. C’est une loi de nature.

— J’aime à croire que vous vous trompez, ou que la nature ne se trompe pas toujours si sottement, répondit la duchesse d’un air narquois. Votre fille est une personne charmante et pleine d’esprit. »— Puis, comme pour atténuer l’effet désagréable que pouvait produire sur moi cette repartie un peu vive, elle me dit tout bas, derrière son éventail : « J’ai choisi le marquis pour être avec nous ce soir, parce qu’il est le plus bête de tous mes amis. »

Je savais que le marquis s’endormait toujours au lever du rideau ; je me sentis heureux et tout disposé à la bienveillance pour le débutant.

— Quelle voix a-t-il ? demandai-je.

— Qui ? le marquis ? reprit-elle en riant.

— Non, votre protégé !

Primo basso cantante. Il se risque dans un rôle bien fort, ce soir. Tenez, on commence ; il entre en scène ! voyez. Pauvre enfant ! comme il doit trembler !

Elle agita son éventail. Quelques claques saluèrent l’entrée de Célio. Elle y joignit si vivement le faible bruit de ses petites mains, que son éventail tomba. « Allons, me dit-elle, comme je le ramassais, applaudissez aussi le nom de la Floriani, c’est un grand nom en Italie, et, nous autres Italiens, nous devons le soutenir. Cette femme a été une de nos gloires.

— Je l’ai entendue dans mon enfance, répondis-je ; mais c’est donc depuis qu’elle était retirée du théâtre que