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développait en moi ; à mon gré la duchesse se hâtait trop d’admirer les jeunes talents. J’oubliai d’être reconnaissant pour mon propre compte.

— Vous le connaissez ? lui dis-je avec d’autant plus de calme que je me sentais plus ému.

— Oui, je le connais un peu, répondit-elle en dépliant son éventail ; je l’ai entendu deux fois depuis qu’il est ici.

Je ne répondis rien. Je fis faire un détour à la conversation, pour obtenir, par surprise, l’aveu que je redoutais. Au bout de cinq minutes de propos oiseux en apparence, j’appris que la duchesse avait entendu chanter deux fois dans son salon le jeune Célio Floriani, pendant que la porte m’était fermée, car ce débutant n’était arrivé à Vienne que depuis cinq jours.

Je renfermai ma colère, mais elle fut devinée, et la duchesse s’en tira aussi bien que possible. Je n’étais pas encore assez lié avec elle pour avoir le droit d’attendre une justification. Elle daigna me la donner assez satisfaisante, et mon amertume fit place à la reconnaissance. Elle avait beaucoup connu la fameuse Floriani et vu son fils adolescent auprès d’elle. Il était venu naturellement la saluer à son arrivée, et, croyant lui devoir aide et protection, elle avait consenti à le recevoir et à l’entendre, quoique malade et séquestrée. Il avait chanté pour elle devant son médecin, elle l’avait écouté par ordonnance de médecin. « Je ne sais si c’est que je m’ennuyais d’être seule, ajouta-t-elle d’un ton languissant, ou si mes nerfs étaient détendus par le régime ; mais il est certain qu’il m’a fait plaisir et que j’ai bien auguré de son début. Il a une voix magnifique, une belle méthode et un extérieur agréable ; mais que sera-t-il sur la scène ? C’est si différent d’entendre un virtuose à huis clos ! Je crains pour ce pauvre enfant l’épreuve terrible du public. Le nom