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me plaçait plus haut que ne faisait encore le public, et qu’elle travaillait à ma gloire sans me connaître, par pur amour de l’art. J’en fus flatté ; la reconnaissance vint attendrir l’orgueil dans mon sein. Je désirai lui être présenté : je fus accueilli mieux encore que je ne m’y attendais. Ma figure et mon langage parurent lui plaire, et elle me dit, presque à la première entrevue, qu’en moi l’homme était encore supérieur au peintre. Je me sentis plus ému par sa grâce, son élégance et sa beauté, que je ne l’avais encore été auprès d’aucune femme.

Une seule chose me chagrinait : certaines habitudes de mollesse, certaines locutions d’éloges officiels, certaines formules de sympathie et d’encouragement, me rappelaient la douce, libérale et insoucieuse femme dont j’avais été le fils et le protégé. Parfois j’essayais de me persuader que c’était une raison de plus pour moi de m’attacher à elle ; mais parfois aussi je tremblais de retrouver, sous cette enveloppe charmante, la femme du monde, cet être banal et froid, habile dans l’art des niaiseries, maladroit dans les choses sérieuses, généreux de fait sans l’être d’intention, aimant à faire le bonheur d’autrui, à la condition de ne pas compromettre le sien.

J’aimais, je doutais, je souffrais. Elle n’avait pas une réputation d’austérité bien établie, quoique ses faiblesses n’eussent jamais fait scandale. J’avais tout lieu d’espérer un délicieux caprice de sa part. Cela ne m’enivrait pas. Je n’étais plus assez enfant pour me glorifier d’inspirer un caprice ; j’étais assez homme pour aspirer à être l’objet d’une passion. Je brûlais d’un feu mystérieux trop longtemps comprimé pour ne pas m’avouer que j’allais être en proie moi-même à une passion énergique ; mais, lorsque je me sentais sur le point d’y céder, j’étais épouvanté de l’idée que j’allais donner tout pour recevoir peu… peut-être rien. J’avais peur, non pas précisément