Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/21

Cette page n’a pas encore été corrigée

le nom qu’on m’a choisi en naissant, est Adorno Salentini. Je ne sais pas pourquoi je ne me serais pas appelé Soavi, comme mon père. Peut-être que ce n’était pas non plus son nom. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il mourut sans savoir que j’existais. Ma mère, aussi vite épouvantée qu’éprise, lui avait caché les conséquences de leur liaison pour pouvoir la rompre plus entièrement.

Pour toutes les causes qui précèdent, me voyant et me sentant doublement orphelin dans la vie, j’étais tout accoutumé à ne compter que sur moi-même. Je pris des habitudes de discrétion et de réserve en raison des instincts de courage et de fierté que je cultivais en moi avec soin.

Deux ans après la mort de ma mère, c’est-à-dire à vingt-sept ans, j’étais déjà fort et libre au gré de mon ambition, car je gagnais un peu d’argent, et j’avais très-peu de besoins ; j’arrivais à une certaine réputation sans avoir eu trop de protecteurs, à un certain talent sans trop craindre ni rechercher les conseils de personne, à une certaine satisfaction intérieure, car je me trouvais sur la route d’un progrès assuré, et je voyais assez clair dans mon avenir d’artiste. Tout ce qui me manquait encore, je le sentais couver en silence dans mon sein, et j’en attendais l’éclosion avec une joie secrète qui me soutenait, et une apparence de calme qui m’empêchait d’avoir des ennemis. Personne encore ne pressentait en moi un rival bien terrible ; moi, je ne me sentais pas de rivaux funestes. Aucune gloire officielle ne me faisait peur. Je souriais intérieurement de voir des hommes, plus inquiets et plus pressés que moi, s’enivrer d’un succès précaire. Doux et facile à vivre, je pouvais constater en moi une force de patience dont je savais bien être incapables les natures violentes, emportées autour de moi comme des feuilles par le vent d’orage. Enfin j’offrais à