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je reprendrais les forces que m’ôtent ta bonté et ta douceur accoutumées.

— Eh bien, répondit-elle, je ne te conseille pas de jouer souvent ces rôles-là avec moi : je t’y rendrais des points.


Il se pencha vers elle, et, baissant la voix : — Serais-tu capable d’être la femelle d’un tigre ? lui dit-il.

— Cela est bon pour le théâtre, répondit-elle (et il me sembla qu’elle parlait exprès de manière à ce que je ne perdisse pas sa réponse). Dans la vie réelle, Célio, je mépriserai un usage si petit, si facile et si niais de ma force. Pourquoi suis-je si méchante, ici dans ce rôle ? C’est que rien n’est plus aisé que l’affectation. Ne sois donc pas trop vain de ton succès d’aujourd’hui. La force dans l’excitation, c’est le pont aux ânes ! La force dans le calme…. Tu y viendras peut-être, mais tu n’y es pas encore. Essaie de faire Ottavio, et nous verrons !

— Vous êtes une comédienne fort acerbe et fort jalouse de son talent ! dit Célio en se mordant les lèvres si fort, que sa moustache rousse, collée à sa lèvre, tomba sur son rabat de dentelle.

— Tu perds ton poil de tigre, lui dit tranquillement la Boccaferri en rattrapant la moustache ; tu as raison de faire une peau neuve !

— Vous croyez que vous opérerez ce miracle ?

— Oui, si je veux m’en donner la peine, mais je ne le promets pas.

Je vis qu’ils s’aimaient sans vouloir se l’avouer à eux-mêmes, et je regardai Stella, qui était belle comme un ange en me présentant un masque pour la scène du bal. Elle avait cet air généreux et brave d’une personne qui renonce à vous plaire sans renoncer à vous aimer. Un élan de cœur, plein de vaillance, qui ne me permit pas d’hésiter, me fit tirer de mon sein le nœud cerise que