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à se méfier. Au milieu de leur gaieté railleuse, il m’avait semblé voir percer de la crainte pour un maître qu’elles n’avaient pas osé nommer. Qu’il grogne, le grognon ! avaient-elles dit, et puis encore, en parlant de ma traversée périlleuse sur le fossé, l’aînée avait dit : S’il voyait cela il nous gronderait. Était-ce leur père qu’elles redoutaient ainsi, tout en affectant de se moquer ? Rien ne prouvait qu’elles fussent les filles de ce vieux marquis ressuscité par magie après avoir passé pour mort, que dis-je ? après avoir été mort probablement pendant cinquante ans. Ce devait être un vampire. Il les tourmentait déjà toutes les nuits, mais chaque matin, grâce à sa science, elles avaient perdu le souvenir de ce cauchemar, et tâchaient de se reprendre à la vie. Hélas ! elles n’en avaient pas pour longtemps, les pauvrettes ! Un matin, on les trouverait étranglées dans quelque gargouille du vieux manoir.

A ces folles rêveries, quelques indices réels venaient pourtant se joindre. Je ne sais ce que les nœuds de rubans venaient faire là ; mais le ruban rose et or du petit soulier coïncidait, je ne sais comment, avec le nœud de ruban cerise que j’avais ramassé. Son nœud, avait-elle dit, son nœud d’épée ! — Qui donc, dans le château, portait encore la costume de nos pères, l’épée et le nœud d’épée ? Cela était vraiment bizarre, et il l’avait fait lui-même ! Il prétendait que ces charmantes petites mains de fée ne savaient pas faire un nœud digne de lui ! Il était donc bien impérieux et bien difficile, ce tyran de la jeunesse et de la beauté ! Qu’il fût jeune ou vieux, ce porteur d’épée, ce faiseur de nœuds, il était peu galant ou peu paternel. Ce ne pouvait être que le diable ou l’un de ses suppôts rechignés.

Je ne sais combien de bizarres compositions me vinrent à ce sujet ; mais je ne les exécutai point. La mère