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— Oui, m’écriai-je, pourquoi ? Dites pourquoi, mon cher Laurence !… confessez-vous entièrement.

— Eh ! mon Dieu, répondit-il en se levant et en se promenant avec agitation dans la chambre bleue, parce que j’ai contracté dans ma vie errante une maladie chronique très-grave : le vouloir irréalisable, la fantaisie de l’impossible, l’ennui du vrai, l’idéal sans but déterminé, la soif de ce qui n’est pas et ne peut pas être ! Ce que j’ai rêvé à vingt ans, je le rêve toujours ; ce qui m’a fui, je le cherche toujours dans le vide.

— La gloire de l’artiste ! est-ce cela ?

— Peut-être ! J’ai eu à mon insu quelque ambition inassouvie. Je me suis cru modeste parce que je voulais l’être ; mais ma vanité froissée a dû me ronger, comme ces maladies qu’on ne sent pas et qui vous tuent. Oui, ce doit être cela ! j’aurais voulu être un grand artiste, et je ne suis qu’un critique intelligent. Je suis trop cultivé, trop raisonneur, trop philosophe, trop réfléchi ; je n’ai pas été inspiré. Je ferai très-bien un peu de tout, je ne serai maître en rien. C’est une souffrance de comprendre le beau, de l’avoir analysé, de savoir en