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et l’aimant jusqu’à la dernière page, et l’aimant plus encore en méditant son ensemble. Tout à coup les petits chevaux blancs approchent du fossé et s’arrêtent : qu’ont-ils ? Ils ont reconnu l’arbre que je ne reconnaissais pas. C’est sous ce jeune pin qu’ils ont fait halte l’autre jour. Sylvain est enchanté :

— Voyez-vous qu’ils ne sont pas bêtes !

Non vraiment. Il n’y a pas de bêtes, et une tristesse me prend. Pourquoi ces êtres sont-ils nos esclaves ? Pourquoi ces cordes, ce collier, ces rênes, ce fouet, cette longue course pour mon plaisir et nullement pour le leur ? En vertu de quel devoir me traînent-ils, moi qui ai des jambes ? Et plus tard, quand ils ne seront plus ménagés et choyés, quand viendra le tombereau chargé de pierres du paysan, ou les sacs du meunier ; quand viendront la vieillesse, les plaies, les coups, le jour où les jambes manquent et où, relevé de dessous le brancard, il n’y a plus qu’une étape à faire, celle qui mène à l’abattoir ! — Sur combien de choses injustes et féroces nous fermons les yeux ! À com-