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sentiment de notre petitesse et de notre isolement en était décuplé dans ma pensée. Le dôme formé par des arbres auprès desquels les plus beaux cèdres du Liban eussent été des avortons, la grosseur des tiges, la longueur des reptiles qui traversaient les clairières et qui brillaient dans l’ombre froide comme des ruisseaux d’argent verdâtre, les formes rugueuses et les épines démesurées des plantes basses, l’absence d’oiseaux et de quadrupèdes, des vols silencieux de bombyx et de phalènes d’une grandeur insensée, l’atmosphère humide et débilitante, la clarté glauque qui semblait tomber à regret sur un lourd tapis de débris séculaires, de grandes mares d’eaux mortes où des grenouilles monstrueuses fixaient sur nous des yeux vitreux et stupides, tout cela semblait nous dire : « Que faites-vous ici, où l’homme n’est rien et où rien n’est fait pour lui ? »

Enfin, le soir, nous nous trouvâmes dans un site découvert, et, à la clarté de la couronne boréale qui devenait de plus en plus intense, nous vîmes qu’un grand lac nous séparait de la base du pic.