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reux, maintenant hors de défense ? Les Esquimaux n’ont rien de féroce dans le caractère, mais ils sont voraces comme des requins et larrons comme des pies. Nul doute qu’à leur réveil nos gens ne se trouvassent condamnés à périr de froid et de faim.

Ma conscience engourdie se réveilla. Je résolus de faire au besoin révolter l’équipage, s’il était possible de lui faire comprendre sa situation, et je m’élançais dans le réfectoire, où je les trouvai tous couchés pêle-mêle sur les divans ou sur le plancher, au milieu des débris de bouteilles cassées et des tables renversées.

Que s’était-il passé dans cette fête sinistre ? Le sang mêlé au vin et au gin répandus formait une mare déjà gluante où se collaient leurs mains immobiles et leurs vêtements souillés. C’était une épouvantable scène d’hébétement ou de désastre succédant à quelque frénésie de rage ou de désespoir. J’appelai en vain ; autour de moi régnait le silence de l’épuisement… de la mort peut-être !

Je tâtai la première face qui me tomba sous la main : elle était glacée. La lampe fumante et noir-