compris qu’on pût être vraiment heureux un seul jour en risquant toute la destinée d’autrui. Je vous raconterai, si vous le voulez, deux époques de ma vie où l’amour a joué le principal rôle, et vous comprendrez qu’il a pu m’en coûter un peu d’être, je ne dis pas un héros, mais un homme.
— Voilà un début bien grave, dit Beppa, et je crains que ton récit ne ressemble à une sonate française. Il te faut une introduction musicale, attends ! Est-ce là le ton qui te convient ?
En même temps, elle tira de son luth quelques accords solennels, et joua les premières mesures d’un andante maestoso de Düsseck.
— Ce n’est pas cela, reprit Lélio en étouffant le son des cordes avec le manche de l’éventail de Beppa. Joue-moi plutôt une de ces valses allemandes, où la Joie et la Douleur, voluptueusement embrassées, semblent tourner doucement et montrer tour à tour une face pâle baignée de larmes et un front rayonnant couronné de fleurs.
— Fort bien ! dit Beppa. Pendant ce temps Cupidon joue de la pochette, et marque la mesure à faux, ni plus ni moins qu’un maître de ballet ; la
Joie, impatientée, frappe du pied pour exciter le fade musicien qui gêne son élan impétueux. La Douleur, exténuée de fatigue, tourne ses yeux humides vers l’impitoyable racleur pour l’engager à ralentir cette rotation obstinée, et l’auditoire, ne sachant s’il doit rire ou pleurer, prend le parti de s’endormir.
Et Beppa se mit à jouer la ritournelle d’une valse sentimentale, ralentissant et pressant chaque mesure alternativement, conformant avec rapidité l’expression de sa charmante figure, tantôt sémillante de joie, tantôt lugubre de tristesse, à ce mode ironique, et portant dans cette raillerie musicale toute l’énergie de son patriotisme artistique.