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en scène. Ce misérable accablement fit enfin place à la colère, et dans un moment où je m’approchais de l’avant-scène avec la Checchina (cette seconda donna qui m’avait signalé le mauvais œil), je lui dis, en lui désignant ma belle ennemie et de manière à n’être pas entendu par le public, ces mots parodiés d’une de nos plus belles tragédies :

Bella e stupida.

L’éclat de la colère monta au front de la signora. Elle fit un mouvement pour réveiller le prince Grimani qui dormait de toute son âme ; puis elle s’arrêta tout d’un coup, comme si elle eût changé d’avis, et resta les yeux toujours attachés sur moi, mais avec une expression de vengeance et de menace qui semblait dire : « Tu t’en repentiras. »

Le comte Nasi s’approcha de moi comme je quittais le théâtre après la représentation :

— Lélio, me dit-il, vous êtes amoureux de la Grimani.

— Suis-je donc ensorcelé, m’écriai-je, et d’où vient que je ne puis me débarrasser de cette apparition ?

— Et tu ne t’en débarrasseras pas de longtemps, pauvret, me dit la Checchina d’un air demi-naïf, demi-moqueur. Cette Grimani, c’est le diable. Attends, ajouta-t-elle en me prenant le bras, je me connais en fièvre, et je gagerais… Corpo della Madona ! s’écria-t-elle en pâlissant, tu as une fièvre terrible, mon pauvre Lélio !

— On a toujours la fièvre quand on joue et quand on chante de manière à la donner aux autres, dit le comte ; venez souper avec moi, Lélio.

Je refusai cette offre ; j’étais malade en effet. Dans la nuit, j’eus une fièvre violente, et le lendemain je ne pus me lever. La Checchina vint s’installer à mon chevet, et ne me quitta pas tout le temps que je fus malade.