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Vous ne savez pas, vous autres, quelles mystérieuses influences gouvernent l’inspiration du comédien, comme l’expression de certains visages le préoccupe et stimule ou enchaîne son audace. Quant à moi du moins, je ne sais pas me défendre d’une immédiate sympathie avec mon public, soit pour m’exalter si je le trouve récalcitrant et le dominer par la colère, soit pour me fondre avec lui dans un contact électrique et retremper ma sensibilité à l’effusion de la sienne. Mais certains regards, certaines paroles dites près de moi à la dérobée m’ont quelquefois troublé intérieurement au point qu’il m’a fallu tout l’effort de ma volonté pour en combattre l’effet.

La figure qui me frappait en cet instant était d’une beauté vraiment idéale ; c’était incontestablement la plus belle femme qu’il y eût dans toute la salle de San Carlo. Cependant toute la salle rugissait et trépignait d’admiration, et elle seule, la reine de cette soirée, semblait m’étudier froidement et apercevoir en moi des défauts inappréciables à l’œil vulgaire. C’était la muse du théâtre, c’était la sévère Melpomène en personne, avec son ovale régulier, son noir sourcil, son large front, ses cheveux d’ébène, son grand œil brillant d’un sombre éclat sous un vaste orbite, et sa lèvre froide, dont le sourire n’adoucit jamais l’arc inflexible ; tout cela cependant avec une admirable fleur de jeunesse et des formes riches de santé, de souplesse et d’élégance.

— Quelle est donc cette belle fille brune à l’œil si froid ? demandai-je dans l’entracte au comte Nasi, qui m’avait pris en grande amitié, et venait tous les soirs sur le théâtre pour causer avec moi.

— C’est la fille ou la nièce de la princesse Grimani, me répondit-il. Je ne la connais pas ; car elle sort de je ne sais quel couvent, et sa mère ou sa tante est elle-même étrangère à nos contrées. Tout ce que je puis vous dire,