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À partir de ce jour, tout rentra dans le repos au palais Aldini. Ce petit monde subalterne avait eu sa crise révolutionnaire. Il eut son pacificateur, et je m’amusai en secret de mon rôle de grand citoyen avec un héroïsme enfantin. Mandola qui commençait à devenir lettré, me regardait avec étonnement m’occuper des plus rudes travaux, et, me parlant tout bas d’un air paternel, m’appelait à la dérobée son Cincinnato et son Pompilio.

J’avais pris en effet avec moi-même, et je tins courageusement la résolution de ne plus recevoir le moindre bienfait de la femme dont je voulais être l’amant. Puisque le seul moyen de la posséder en secret, c’était de rester dans sa maison sur le pied de valet, il me semblait que je pouvais rétablir l’égalité entre elle et moi en proportionnant mes services à mon salaire. Jusque-là, ce salaire avait été considérable et non proportionné à mon travail, qui, pendant quelque temps même, avait été tout à fait nul. Je résolus de réparer le temps perdu : je me mis à tout ranger, à tout nettoyer, à faire les commissions, à porter même l’eau et le bois, à vernir et à brosser la gondole, en un mot, à faire la besogne de dix personnes, et je la fis gaiement, en fredonnant mes plus beaux airs d’opéra et mes plus belles strophes épiques. Ce qui m’amusa le plus, ce fut de prendre soin des tableaux de famille et de secouer la poussière qui obscurcissait, chaque matin, le majestueux regard de Torquato. Quand j’avais fini sa toilette, je lui ôtais respectueusement mon bonnet en lui adressant ironiquement quelque parodie de mes vers héroïques.

Les prolétaires vénitiens, et les gondoliers particulièrement, ont, vous le savez, le goût des joyaux. Ils dépensent une bonne partie de ce qu’ils gagnent en bagues antiques, en camées de chemises, en épingles de cravate, en chaînes à breloques, etc. Je m’étais laissé donner