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des choses qu’on ne peut jamais prouver…

— Surtout quand elles n’existent pas, repris-je vivement.

— Tu parles comme il faut, répondit Mandola ; continue à te tenir sur tes gardes ; ne te confie à personne, pas même à moi, et si tu as un peu d’influence sur la signora, engage-la à se bien cacher, surtout de Salomé. Salomé ne la trahira jamais, mais elle a la voix trop forte, et, quand elle querelle la signora, toute la maison entend ce qu’elles se disent. Si quelqu’un des amis de la signora venait à se douter de ce qui se passe, tout irait mal ; car les amis, ce n’est pas comme les domestiques : cela ne sait pas garder un secret, et pourtant on se fie à eux plus qu’à nous !

Les conseils du candide Mandola n’étaient point à dédaigner, d’autant plus qu’ils s’accordaient parfaitement avec mon instinct. Nous conduisîmes, le lendemain soir, la signora sur le canal de la Zueca, et Mandola, comprenant que j’avais à lui parler, s’endormit complaisamment sur la poupe. J’éteignis le fanal, je me glissai dans l’habitacle, et je causai longtemps avec Bianca. Elle s’étonna de mes refus, et me dit encore tout ce qu’elle crut propre à les vaincre. Je lui parlai avec fermeté, je lui dis que jamais je ne laisserais dire de moi que j’avais aimé une femme pour ses richesses, que je tenais autant au bon renom de ma famille qu’aucun patricien de Venise, que mes parents ne me pardonneraient jamais si je donnais un pareil scandale, et que je ne voulais pas plus me brouiller avec mon honnête homme de père, que brouiller la signora avec sa fille ; car Alezia était ce qu’elle devait préférer et ce qu’elle préférait sans doute à tout au monde. Ce dernier argument eut plus de puissance que tous les autres. Elle fondit en larmes, et m’exprima son admiration et sa reconnaissance avec l’enthousiasme de la passion.