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J’avais entendu dire aussi aux gondoliers du traguet que l’instrument dont elle s’accompagnait était une harpe ; mais leurs descriptions étaient si confuses qu’il m’était impossible de me faire une idée nette de cet instrument. Ses accords me ravissaient, et c’est lui que je brûlais du désir de voir. Je m’en faisais un portrait fantastique ; car on m’avait dit qu’il était tout d’or pur, plus grand que moi, et mon patron Masino en avait vu un qui était terminé par le buste d’une belle femme qu’on aurait dit prête à s’envoler, car elle avait des ailes. Je voyais donc la harpe dans mes rêves ; tantôt sous la figure d’une sirène, et tantôt sous celle d’un oiseau ; quelquefois je croyais voir passer une belle barque pavoisée, dont les cordages de soie rendaient des sons harmonieux. Une fois je rêvai que je trouvais une harpe au milieu des roseaux et des algues ; mais au moment où j’écartais les herbes humides pour la saisir, je fus éveillé en sursaut, et ne pus jamais retrouver le souvenir distinct de sa forme.

Cette curiosité s’empara si fort de mon jeune cerveau, qu’un jour je finis par céder à une tentation maintes fois vaincue. Pendant que mon patron était au cabaret, je grimpai sur la couverture de ma gondole, et de là aux barreaux d’une fenêtre basse ; puis enfin je m’accrochai à la balustrade du balcon, je l’enjambai et je me trouvai sous les rideaux de la tendine.

Je pus alors contempler l’intérieur d’un magnifique cabinet ; mais le seul objet qui me frappa, ce fut la harpe muette au milieu des autres meubles qu’elle dominait fièrement. Le rayon qui pénétra dans le cabinet lorsque j’entrouvris le rideau vint frapper sur la dorure de l’instrument, et fit étinceler le beau cygne sculpté qui le surmontait. Je restai immobile d’admiration, ne pouvant me lasser d’en examiner les moindres détails, la structure élégante, qui me rappelait la proue des gondoles,