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d’une fille qui se confie à toi. Il faut pourtant te décider à quelque chose, mon pauvre camarade, si tu ne veux pas que la fin du monde te trouve soupirant pour les étoiles et envoyant des baisers aux nuages. Que les chiens aboient après la lune ; nous autres artistes, nous devons vivre à tout prix et toujours. Prends donc un parti.

— Tu as raison, lui répondis-je gravement.

Et j’allai me coucher.

La nuit suivante, je retournai au rendez-vous. Je trouvai la signora exaltée et joyeuse, ainsi que la veille ; mais je restai quelque temps sombre et taciturne. Elle me plaisanta d’abord sur ma mine de carbonaro et me demanda en riant si je songeais à détrôner le pape, ou à reconstruire l’empire romain. Puis, voyant que je ne répondais pas, elle me regarda fixement ; et, me prenant la main :

— Vous êtes triste, Lélio. Qu’avez-vous ?

Je lui ouvris alors mon cœur, et lui dis que la passion que je nourrissais pour elle était un malheur pour moi.

— Un malheur ! et pourquoi ?

— Je vais vous le dire, signora. Vous êtes l’héritière d’une noble et illustre famille. Vous avez été nourrie dans le respect de vos aïeux et dans la pensée qu’on ne vaut que par l’ancienneté et l’éclat de sa race. Je suis un pauvre diable sans passé, un homme de rien, qui me suis fait moi- même le peu que je suis. Pourtant, je crois qu’un homme en vaut un autre, et ne m’estime l’inférieur de personne. Or, il est évident que vous ne m’épouseriez pas ; tout vous le défendrait, vos idées, vos habitudes, votre position. Vous qui avez refusé des patriciens, parce qu’ils n’étaient pas d’assez bonne maison, vous pourriez ou voudriez moins que toute autre vous abaisser jusqu’à un misérable comédien comme moi. De princesse à histrion il y a loin, signora. Je ne puis donc pas être votre mari. Que me reste-t-il ? La perspective d’un amour partagé,