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— C’est la pensée divine, révélée à l’humanité.

— Cette pensée est-elle tout entière dans la lettre de l’Évangile ?

— Je ne le crois pas ; mais je crois qu’elle est tout entière dans son esprit.

— Nous sommes satisfaits de tes réponses, et nous acceptons le serment que tu viens de faire. À présent, nous allons t’instruire de tes devoirs envers Dieu et envers nous. Apprends donc d’avance les trois mots qui sont tout le secret de nos mystères, et qu’on ne révèle à beaucoup d’affiliés qu’avec tant de lenteurs et de précautions. Tu n’as pas besoin d’un long apprentissage ; et cependant, il te faudra quelques réflexions pour en comprendre toute la portée. Liberté, fraternité, égalité : voilà la formule mystérieuse et profonde de l’œuvre des Invisibles.

— Est-ce là, en effet, tout le mystère ?

— Il ne te semble pas que c’en soit un ; mais examine l’état des sociétés, et tu verras que, pour des hommes habitués à être régis par le despotisme, l’inégalité, l’antagonisme, c’est toute une éducation, toute une conversion, toute une révélation, que d’arriver à comprendre nettement la possibilité humaine, la nécessité sociale et l’obligation morale de ce triple précepte : liberté, égalité, fraternité. Le petit nombre d’esprits droits et de cœurs purs qui protestent naturellement contre l’injustice et le désordre des tyrannies saisissent, dès le premier pas, la doctrine secrète. Leurs progrès y sont rapides ; car il ne s’agit plus, avec eux, que de leur enseigner les procédés d’application que nous avons trouvés. Mais, pour le grand nombre, avec les gens du monde, les courtisans et les puissants, imagine ce qu’il faut de précautions et de ménagements pour livrer à leur examen la formule sacrée de l’œuvre immortelle. Il faut