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— À douter, peut-être. Ôtez-moi le doute qui n’était pas dans ma nature, et qui m’a fait souffrir ; je vous bénirai. Ôtez-moi surtout le doute de moi-même, qui me frapperait d’impuissance.

— Nous ne t’ôterons le doute qu’en te développant nos principes. Quant à te donner des garanties matérielles de notre sincérité et de notre puissance, nous ne le ferons pas plus que nous ne l’avons fait jusqu’ici. Que les services rendus te suffisent ; nous t’assisterons toujours dans l’occasion : mais nous ne t’associerons aux mystères de notre pensée et de nos actions que selon la part d’action que nous te donnerons à toi-même. Tu ne nous connaîtras point. Tu ne verras jamais nos traits. Tu ne sauras jamais nos noms, à moins qu’un grand intérêt de la cause ne nous force à enfreindre la loi qui nous rend inconnus et invisibles à nos disciples. Peux-tu te soumettre et te fier aveuglément à des hommes qui ne seront jamais pour toi que des êtres abstraits, des idées vivantes, des appuis et des conseils mystérieux ?

— Une vaine curiosité pourrait seule me pousser à vouloir vous connaître autrement. J’espère que ce sentiment puéril n’entrera jamais en moi.

— Il ne s’agit point de curiosité, il s’agit de méfiance. La tienne serait fondée selon la logique et la prudence du monde. Un homme répond de ses actions ; son nom est une garantie ou un avertissement ; sa réputation appuie ou dément ses actes ou ses projets. Songes-tu bien que tu ne pourras jamais comparer la conduite d’aucun de nous en particulier avec les préceptes de l’ordre ? Tu devras croire en nous comme à des saints, sans savoir si nous ne sommes pas des hypocrites. Tu devras même peut-être voir émaner de nos décisions des injustices, des perfidies, des cruautés apparentes. Tu ne pourras pas plus contrôler nos démarches que nos inten-