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sentit sans force contre une rencontre dans ces beaux lieux et sous ce ciel magnifique. Les bouffées de la brise passaient brûlantes sur son front. Elle s’enfuit vers le pavillon et s’enferma dans sa chambre. Les flambeaux n’étaient pas allumés. Elle se cacha derrière une jalousie et désira ardemment de voir celui dont elle ne voulait pas être vue. Elle vit en effet paraître un homme qui marcha lentement sous ses fenêtres sans appeler, sans faire un geste, soumis et satisfait en apparence de regarder les murs qu’elle habitait. Cet homme, c’était bien l’inconnu, du moins Consuelo le sentit d’abord à son trouble, et crut reconnaître sa stature et sa démarche. Mais bientôt d’étranges doutes et des craintes pénibles s’emparèrent de son esprit. Ce promeneur silencieux lui rappelait Albert au moins autant que Liverani. Ils étaient de la même taille ; et maintenant qu’Albert, transformé par une santé nouvelle, marchait avec aisance et ne tenait plus sa tête penchée sur son sein ou appuyée sur sa main, dans une attitude chagrine ou maladive, Consuelo ne connaissait guère plus son aspect extérieur que celui du chevalier. Elle avait vu celui-ci un instant au grand jour, marchant devant elle à distance et enveloppé des plis d’un manteau. Elle avait vu Albert peu d’instants aussi dans la tour déserte, depuis qu’il était si différent de ce qu’elle le connaissait ; et maintenant elle voyait l’un ou l’autre très-vaguement, à la clarté des étoiles ; et chaque fois qu’elle se croyait sur le point de fixer ses doutes, il passait sous l’ombre des arbres et s’y perdait comme une ombre lui-même. Il disparut enfin tout à fait, et Consuelo resta partagée entre la joie et la crainte, se reprochant d’avoir manqué de courage pour appeler Albert à tout hasard, afin de provoquer une explication sincère et loyale entre eux.

Ce repentir devint plus vif à mesure qu’il s’éloignait,