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dehors et vécut dans la retraite, environnée des soins mystérieux du chevalier, mais ferme dans sa résolution de ne point le voir, et de ne pas lui donner trop d’espérance.

Les chaleurs de l’été commençaient à se faire sentir, et Consuelo, absorbée d’ailleurs par ses études, n’avait pour se reposer et respirer à l’aise que les heures fraîches de la soirée. Peu à peu elle avait repris ses promenades lentes et rêveuses dans le jardin, l’enclos. Elle s’y croyait seule et pourtant je ne sais quelle vague émotion lui faisait rêver parfois la présence de l’inconnu non loin d’elle. Ces belles nuits, ces beaux ombrages, cette solitude, ce murmure languissant de l’eau courante à travers les fleurs, le parfum des plantes, la voix passionnée du rossignol, suivie de silences plus voluptueux encore ; la lune jetant de grandes lueurs obliques sous l’ombre transparente des berceaux embaumés, le coucher de Vesper derrière les nuages roses de l’horizon, que sais-je ? toutes les émotions classiques, mais éternellement fraîches et puissantes de la jeunesse et de l’amour, plongeaient l’âme de Consuelo dans de dangereuses rêveries ; son ombre svelte sur le sable argenté des allées, le vol d’un oiseau réveillé par son approche, le bruit d’une feuille agitée par la brise, c’en était assez pour la faire tressaillir et doubler le pas ; mais ces légères frayeurs étaient à peine dissipées qu’elles étaient remplacées par un indéfinissable regret, et les palpitations de l’attente étaient plus fortes que toutes les suggestions de la volonté.

Une fois elle fut troublée plus que de coutume par le frôlement du feuillage et les bruits incertains de la nuit. Il lui sembla qu’on marchait non loin d’elle, qu’on fuyait à son approche, qu’on s’approchait lorsqu’elle était assise. Son agitation l’avertissait plus encore ; elle se