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être en avait-il perdu le souvenir en perdant les autres souvenirs de sa vie et son amour, qui semblait avoir été, et n’être plus sa vie même.

Il se passa quelque chose d’incertain et d’inexplicable chez Consuelo, quelque chose qui ressemblait à du chagrin, à du regret, à de l’orgueil blessé. Elle se répétait les dernières suppositions de Trenck sur un nouvel amour d’Albert, et cette supposition lui paraissait vraisemblable. Ce nouvel amour pouvait seul lui donner tant de tolérance et de miséricorde. Ses dernières paroles en emmenant son ami, et en lui promettant un récit, un roman, n’étaient-elle pas la confirmation de ce doute, l’aveu et l’explication de cette joie discrète et profonde dont il paraissait rempli ? « Oui, ses yeux brillaient d’un éclat que je ne leur ai jamais vu, pensa Consuelo. Son sourire avait une expression de triomphe, d’ivresse ; et il souriait, il riait presque, lui à qui le rire semblait inconnu jadis ; il y a eu même comme de l’ironie dans sa voix quand il a dit au baron : « Bientôt tu souriras aussi des éloges que tu me donnes. » Plus de doute, il aime, et ce n’est plus moi. Il ne s’en défend pas, et il ne songe point à se combattre ; il bénit mon infidélité, il m’y pousse, il s’en réjouit, il n’en rougit point pour moi ; il m’abandonne à une faiblesse dont je rougirai seule, et dont toute la honte retombera sur ma tête. Ô ciel ! Je n’étais pas seule coupable, et Albert l’était plus encore ! Hélas ! pourquoi ai-je surpris le secret d’une générosité que j’aurais tant admirée, et que je n’eusse jamais voulu accepter ? Je le sens bien, maintenant il y a quelque chose de saint dans la foi jurée ; Dieu seul qui change notre cœur peut nous en délier. Alors les êtres unis par un serment peuvent peut-être s’offrir et accepter le sacrifice de leurs droits. Mais quand l’inconstance mutuelle préside seule au divorce, il se fait quelque chose d’af-