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que moi, vous pouvez la voir et l’entendre, vous !…

— Je ne le pourrai plus, cher Trenck ; ne vous faites pas d’illusions à cet égard. Le nom fantastique et le personnage bizarre de Trismégiste dont on m’avait affublé, et qui m’ont protégé, durant plusieurs années, dans mes courtes et mystérieuses relations avec le palais de Berlin, ont perdu leur prestige ; mes amis seront discrets, et mes dupes (puisque pour servir notre cause et votre amour, j’ai été forcé de faire bien innocemment quelques dupes), ne seraient pas plus clairvoyantes que par le passé ; mais Frédéric a senti l’odeur d’une conspiration, et je ne puis plus retourner en Prusse. Mes efforts y seraient paralysés par sa méfiance, et la prison de Spandaw ne s’ouvrirait pas une seconde fois pour mon évasion.

— Pauvre Albert ! tu as dû souffrir dans cette prison, autant que moi dans la mienne, plus peut-être !

— Non, j’étais près d’elle. J’entendais sa voix, je travaillais à sa délivrance. Je ne regrette ni d’avoir enduré l’horreur du cachot, ni d’avoir tremblé pour sa vie. Si j’ai souffert pour moi, je ne m’en suis pas aperçu ; si j’ai souffert pour elle, je ne m’en souviens plus. Elle est sauvée et elle sera heureuse.

— Par vous, Albert ? Dites-moi qu’elle ne sera heureuse que par vous et avec vous, ou bien je ne l’estime plus, je lui retire mon admiration et mon amitié.

— Ne parlez pas ainsi, Trenck. C’est outrager la nature, l’amour et le ciel. Nos femmes sont aussi libres envers nous que nos amantes, et vouloir les enchaîner au nom d’un devoir profitable à nous seuls, serait un crime et une profanation.

— Je le sais, et sans m’élever à la même vertu que toi, je sens bien que si Amélie m’eût retiré sa parole au lieu de me la confirmer, je n’aurais pas cessé pour cela