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de la destruction ; d’énormes manteaux de cheminées, encore noircis en dessous par la fumée d’un foyer à jamais éteint, et sortant du milieu des murailles dénudées, à une hauteur effrayante ; des escaliers rompus, élançant leur spirale dans le vide, comme pour conduire les sorcières à leur danse aérienne ; des arbres entiers installés et grandis dans des appartements encore parés d’un reste de fresques ; des bancs de pierre dans les embrasures profondes des croisées, et toujours le vide au-dedans comme au-dehors de ces retraites mystérieuses, refuges des amants en temps de paix, tanières des guetteurs aux heures du danger ; enfin des meurtrières festonnées de coquettes guirlandes, des pignons isolés s’élevant dans les airs comme des obélisques, et des portes comblées jusqu’au tympan par les atterrissements et les décombres. C’était un lieu effrayant et poétique ; Consuelo s’y sentit pénétrée d’une sorte de terreur superstitieuse, comme si sa présence eût profané une enceinte réservée aux funèbres conférences ou aux silencieuses rêveries des morts. Par une nuit sereine et dans une situation moins agitée, elle eût pu admirer l’austère beauté de ce monument ; elle ne se fût peut-être pas apitoyée classiquement sur la rigueur du temps et des destins, qui renversent sans pitié le palais et la forteresse, et couchent leurs débris dans l’herbe à côté de ceux de la chaumière. La tristesse qu’inspirent les ruines de ces demeures formidables n’est pas la même dans l’imagination de l’artiste et dans le cœur du patricien. Mais en ce moment de trouble et de crainte, et par cette nuit d’orage, Consuelo, n’étant point soutenue par l’enthousiasme qui l’avait poussée à de plus sérieuses entreprises, se sentit redevenir l’enfant du peuple, tremblant à l’idée de voir apparaître les fantômes de la nuit, et redoutant surtout ceux des antiques châtelains, farou-