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Tout à coup, il lui sembla les entendre au-dessous d’elle, comme s’il montait l’escalier caché sous ses pieds, comme s’il approchait d’une porte invisible, ou comme si, à la manière des esprits familiers, il allait percer la muraille pour se présenter devant ses yeux. Elle laissa tomber son flambeau et s’enfuit au fond du jardin. Le joli ruisseau qui le traversait arrêta sa course. Elle écouta, et entendit, ou crut entendre marcher derrière elle. Alors elle perdit un peu la tête et se jeta dans le batelet dont le jardinier se servait pour apporter du dehors du sable et des gazons. Consuelo s’imagina qu’en le détachant, elle irait échouer sur la rive opposée ; mais le ruisseau était rapide, et sortait de l’enclos en se resserrant sous une arcade basse fermée d’une grille. Emportée à la dérive par le courant, la barque alla frapper en peu d’instants contre la grille. Consuelo s’y préserva d’un choc trop rude en s’élançant à la proue et en étendant les mains. Un enfant de Venise (et un enfant du peuple) ne pouvait pas être bien embarrassé de cette manœuvre. Mais, fortune bizarre ! la grille céda sous sa main et s’ouvrit par la seule impulsion que le courant donnait au bateau. Hélas ! pensa Consuelo, on ne ferme peut-être jamais ce passage, car je suis prisonnière sur parole, et pourtant je fuis, je viole mon serment ! Mais je ne le fais que pour chercher protection et refuge parmi mes hôtes, non pour les abandonner et les trahir.

Elle sauta sur la rive où un détour de l’eau avait poussé son esquif, et s’enfonça dans un taillis épais. Consuelo ne pouvait pas courir bien vite sous ces ombrages sombres. L’allée serpentait en se rétrécissant. La fugitive se heurtait à chaque instant contre les arbres, et tomba plusieurs fois sur le gazon. Cependant elle sentait revenir l’espoir dans son âme ; ces ténèbres la rassu-