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Elle parcourut en vain tous les recoins du pavillon ; elle n’aperçut aucune trace de lui, et, sans la lettre qu’elle tenait dans sa main tremblante, elle eût pu croire qu’elle avait rêvé.

Enfin elle se décida à rentrer dans son boudoir, pour lire cette lettre dont l’écriture lui parut cette fois plutôt contrefaite à dessein qu’altérée par la souffrance. Elle contenait à peu près ce qui suit :

« Je ne puis ni vous voir ni vous parler ; mais il ne m’est pas défendu de vous écrire. Me le permettrez-vous ? Oserez-vous répondre à l’inconnu ? Si j’avais ce bonheur, je pourrais trouver vos lettres et placer les miennes, durant votre sommeil, dans un livre que vous laisseriez le soir sur le banc du jardin au bord de l’eau. Je vous aime avec passion, avec idolâtrie, avec égarement. Je suis vaincu, ma force est brisée ; mon activité, mon zèle, mon enthousiasme pour l’œuvre à laquelle je me suis voué, tout, jusqu’au sentiment du devoir, est anéanti en moi, si vous ne m’aimez pas. Lié à des devoirs étranges et terribles par mes serments, par le don et l’abandon de ma volonté, je flotte entre la pensée de l’infamie et celle du suicide ; car je ne puis me persuader que vous m’aimiez réellement, et qu’à l’heure où nous sommes, la méfiance et la peur n’aient pas déjà effacé votre amour involontaire pour moi. Pourrait-il en être autrement ? Je ne suis pour vous qu’une ombre, le rêve d’une nuit, l’illusion d’un instant. Eh bien ! pour me faire aimer de vous, je me sens prêt, vingt fois le jour, à sacrifier mon honneur, à trahir ma parole, à souiller ma conscience d’un parjure. Si vous parveniez à fuir cette prison, je vous suivrais au bout du monde, dussé-je expier, par une vie de honte et de remords, l’ivresse de vous voir, ne fût-ce qu’un jour, et de vous entendre dire encore, ne fût-ce qu’une fois : « Je vous