Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 2e série.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54

cette fascination orgueilleuse n’existent pas, il n’y a point de passion ; et la passion avait envahi enfin le paisible et noble cœur de Consuelo.

Le billet de l’inconnu porta le trouble dans toutes ses pensées. Il implorait une entrevue ; il faisait plus, il l’annonçait et s’excusait d’avance sur la nécessité de mettre les derniers moments à profit. Il feignait de croire que Consuelo avait aimé Albert et pouvait l’aimer encore. Il feignait aussi de vouloir se soumettre à son arrêt, et, en attendant, il exigeait un mot de pitié, une larme de regret, un dernier adieu ; toujours ce dernier adieu qui est comme la dernière apparition d’un grand artiste annoncée au public, et heureusement suivie de beaucoup d’autres.

La triste Consuelo (triste et pourtant dévorée d’une joie secrète, involontaire et brûlante à l’idée de cette entrevue) sentit, à la rougeur de son front et aux palpitations de son sein, qu’elle avait l’âme adultère en dépit d’elle-même. Elle sentit que ses résolutions et sa volonté ne la préservaient pas d’un entraînement inconcevable, et que, si le chevalier se décidait à rompre son voeu en lui parlant et en lui montrant ses traits, comme il y semblait résolu, elle n’aurait pas la force d’empêcher cette violation des lois de l’ordre invisible. Elle n’avait qu’un refuge, c’était d’implorer le secours de ce même tribunal. Mais fallait-il accuser et trahir Liverani ? Le digne vieillard qui lui avait révélé l’existence d’Albert, et qui avait paternellement accueilli ses confidences la veille, recevrait celle-ci encore sous le sceau de la confession. Il plaindrait, lui, le délire du chevalier, il ne le condamnerait que dans le secret de son cœur. Consuelo lui écrivit qu’elle voulait le voir à neuf heures, le soir même, qu’il y allait de son honneur, de son repos, de sa vie peut-être. C’était l’heure à laquelle l’inconnu s’était