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que celle de sa conscience. Il s’est rappelé que vous ne l’aviez pas aimé, précisément parce qu’il était riche et noble. Il a voulu abjurer sans retour possible sa fortune et son nom. Il l’a fait, et nous l’avons permis. Maintenant vous ne l’aimez pas, vous en aimez un autre. Il ne réclamera jamais de vous le titre d’époux, qu’il n’a dû, à son agonie, qu’à votre compassion. Il aura le courage de renoncer à vous. Nous n’avons pas d’autre pouvoir sur celui que vous appelez Liverani et sur vous, que celui de la persuasion. Si vous voulez fuir ensemble, nous ne pouvons l’empêcher. Nous n’avons ni cachots, ni contraintes, ni peines corporelles à notre service, quoi qu’un serviteur crédule et craintif ait pu vous dire à cet égard ; nous haïssons les moyens de la tyrannie. Votre sort est dans vos mains. Allez faire vos réflexions encore une fois, pauvre Consuelo, et que Dieu vous inspire ! »

Consuelo avait écouté ce discours avec une profonde stupeur. Quand le vieillard eut fini, elle se leva et dit avec énergie :

« Je n’ai pas besoin de réfléchir, mon choix est fait. Albert est-il ici ? conduisez-moi à ses pieds.

— Albert n’est point ici. Il ne pouvait être témoin de cette lutte. Il ignore même la crise que vous subissez à cette heure.

— Ô mon cher Albert ! s’écria Consuelo en levant les bras vers le ciel, j’en sortirai victorieuse. » Puis s’agenouillant devant le vieillard : « Mon père, dit-elle, absolvez-moi, et aidez-moi à ne jamais revoir ce Liverani ; je ne veux plus l’aimer, je ne l’aimerai plus. »

Le vieillard étendit ses mains tremblotantes sur la tête de Consuelo ; mais lorsqu’il les retira, elle ne put se relever. Elle avait refoulé ses sanglots dans son sein, et brisée par un combat au-dessus de ses forces, elle fut