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Les mystères, les circonstances romanesques attisent le feu de l’amour. Consuelo éprouva la plus violente tentation de répondre, et la crainte de déplaire aux Invisibles, le scrupule de manquer à ses promesses, ne la retinrent que faiblement, il faut bien l’avouer. Mais, en songeant qu’elle pouvait être découverte et provoquer un nouvel exil du chevalier, elle eut le courage de s’abstenir. Elle rendit la liberté au rouge-gorge sans lui confier un seul mot de réponse, mais non sans répandre des larmes amères sur le chagrin et le désappointement que cette sévérité causerait à son amant.

Elle essaya de reprendre ses études ; mais ni la lecture ni le chant ne purent la distraire de l’agitation qui bouillonnait dans son sein, depuis qu’elle savait le chevalier près d’elle. Elle ne pouvait s’empêcher d’espérer qu’il désobéirait pour deux, et qu’elle le verrait se glisser le soir dans les buissons fleuris de son jardin. Mais elle ne voulut pas l’encourager en se montrant. Elle passa la soirée enfermée, épiant, à travers sa jalousie, palpitante, remplie de crainte et de désir, résolue pourtant à ne pas répondre à son appel. Elle ne le vit point paraître, et en éprouva autant de douleur et de surprise que si elle eût compté sur une témérité dont elle l’eût pourtant blâmé, et qui eût réveillé toutes ses terreurs. Tous les petits drames mystérieux des jeunes et brûlantes amours s’accomplirent dans son sein en quelques heures. C’était une phase nouvelle, des émotions inconnues dans sa vie. Elle avait souvent attendu Anzoleto, le soir, sur les quais de Venise ou sur les terrasses de la Corte Minelli ; mais elle l’avait attendu en repassant sa leçon du matin, ou en disant son chapelet, sans impatience, sans frayeur, sans palpitations et sans angoisse. Cet amour d’enfant était encore si près de l’amitié, qu’il ne ressemblait en rien à ce qu’elle sentait