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avait le secret de ses crises léthargiques. L’amour-propre du docteur ne pouvait lui permettre d’avouer qu’il avait pu s’abuser en constatant la mort. Maintenant que Consuelo connaissait l’existence et la puissance matérielle du conseil des Invisibles, elle osait se livrer à bien des conjectures sur la manière dont ils avaient pu arracher Albert aux horreurs d’une sépulture anticipée et le recueillir secrètement parmi eux pour des fins inconnues. Tout ce que Supperville lui avait révélé des mystères du château et des bizarreries du prince, aidait à confirmer cette supposition. La ressemblance d’un aventurier nommé Trismégiste, pouvait compliquer le merveilleux du fait, mais elle ne détruisait pas sa possibilité. Cette pensée s’empara si fort de la pauvre Consuelo, qu’elle tomba dans une profonde mélancolie. Albert vivant, elle n’hésiterait pas à le rejoindre dès qu’on le lui permettrait, et à se dévouer à lui éternellement. Mais plus que jamais elle sentait qu’elle devait souffrir d’un dévouement où l’amour n’entrerait pour rien. Le chevalier se présentait à son imagination comme une cause d’amers regrets, et à sa conscience comme une source de futurs remords. S’il fallait renoncer à lui, l’amour naissant suivait la marche ordinaire des inclinations contrariées, il devenait passion. Consuelo ne se demandait pas avec une hypocrite résignation pourquoi ce cher Albert voulait sortir de sa tombe où il était si bien ; elle se disait qu’il était dans sa destinée de se sacrifier à cet homme, peut-être même au-delà du tombeau, et elle voulait accomplir cette destinée jusqu’au bout ; mais elle souffrait étrangement, et pleurait l’inconnu, son plus involontaire, son plus ardent amour.

Elle fut tirée de ses méditations par un petit bruit et le frôlement d’une aile légère sur son épaule. Elle fit une exclamation de surprise et de joie en voyant un joli