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un refuge contre les dangers du monde et les égarements de la jeunesse.

Le docteur semblait mériter pourtant de la gratitude, et Consuelo le reconnaissait sans pouvoir en éprouver pour lui ; sa conduite n’était-elle pas d’un homme sincère, courageux et désintéressé ? Mais Consuelo le trouvait trop sceptique, trop matérialiste, trop porté à mépriser les bonnes intentions et à railler les beaux caractères. Quoi qu’il lui eût dit de la crédulité imprudente et dangereuse du prince anonyme, elle se faisait encore une haute idée de ce noble vieillard, ardent pour le bien comme un jeune homme, et naïf comme un enfant dans sa foi à la perfectibilité humaine. Les discours qu’on lui avait tenus dans la salle souterraine lui revenaient à l’esprit, et lui paraissaient remplis d’autorité calme et d’austère sagesse. La charité et la bonté y perçaient sous les menaces et sous les réticences d’une sévérité affectée, prête à se démentir au moindre élan du cœur de Consuelo. Des fourbes, des cupides, des charlatans auraient-ils parlé et agi ainsi envers elle ? Leur vaillante entreprise de réformer le monde, si ridicule aux yeux du frondeur Supperville, répondait au voeu éternel, aux romanesques espérances, à la foi enthousiaste qu’Albert avait inspirés à son épouse, et qu’elle avait retrouvés avec une bienveillante sympathie dans la tête malade, mais généreuse, de Gottlieb. Ce Supperville n’était-il pas haïssable de vouloir l’en dissuader, et de lui ôter sa foi en Dieu, en même temps que sa confiance dans les Invisibles ?

Consuelo, bien plus portée à la poésie de l’âme qu’à la sèche appréciation des tristes réalités de la vie présente, se débattait sous les arrêts de Supperville et s’efforçait de les repousser. Ne s’était-il pas livré à des suppositions gratuites, lui qui avouait n’être pas initié au