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ingénu, et si tu ne le crains pas plus que de coutume, il me fera grand bien. »

Chacun reprit son fardeau, le père le sac de voyage, le jeune homme les instruments de musique, et la mère les mains de ses deux filles.

« Vous m’avez fait souffrir, dit-elle à Spartacus ; mais je sais qu’il faut souffrir pour la vérité.

— Ne craignez-vous pas que cette crise n’ait des suites fâcheuses ? lui demandai-je avec émotion. Laissez-moi vous suivre encore, je puis vous être utile.

— Soyez béni de votre charité, reprit-elle, mais ne nous suivez pas. Je ne crains rien pour lui, qu’un peu de mélancolie, durant quelques heures. Mais il y avait dans ce lieu-ci un danger, un souvenir affreux, dont vous l’avez préservé en l’occupant d’autres pensées. Il avait voulu y venir, et, grâce à vous, il n’a pas même reconnu l’endroit. Je vous bénis donc de toutes façons, et vous souhaite l’occasion et les moyens de servir Dieu de toute votre volonté et de toute votre puissance. »

Je retins les enfants pour les caresser et pour prolonger les instants qui s’envolaient ; mais leur mère me les reprit, et je me sentis comme abandonné de tous, quand elle me dit adieu pour la dernière fois.

Trismégiste ne nous fit point d’adieux : il semblait qu’il nous eût oubliés. Sa femme nous conjura de ne pas le distraire. Il descendit la colline d’un pied ferme. Son visage était calme, et il aidait, avec une sorte de gaieté heureuse, sa fille aînée à sauter les buissons et les rochers.

Le beau Zdenko marchait derrière lui avec sa mère et sa plus jeune sœur. Nous les suivîmes longtemps des yeux sur le chemin sablé d’or, le chemin sans maître de la forêt. Enfin, ils se perdirent derrière les sapins ; et au moment où elle allait disparaître la dernière,nous