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de l’homme une machine à raisonnement, à syllogismes, un instrument de logique ; tandis que Locke et son école se perdent dans la sensation, faisant de l’homme une sensitive ; tandis que d’autres, tels que j’en pourrais citer en Allemagne, s’absorbent dans le sentiment, faisant de l’homme un égoïsme à deux, s’il s’agit de l’amour, à trois ou quatre, ou plus encore, s’il s’agit de la famille ; lui, le plus grand de tous, a commencé à comprendre que l’homme était tout cela en un, tout cela indivisiblement. Ce philosophe, c’est Leibnitz. Il comprenait les grandes choses, celui-là ; il ne partageait pas l’absurde mépris que notre siècle ignorant fait de l’Antiquité et du christianisme. Il a osé dire qu’il y avait des perles dans le fumier du Moyen Âge. Des perles ! Je le crois bien ! la vérité est éternelle, et tous les prophètes l’ont reçue. Je te dis donc avec lui, et avec une affirmation plus forte que la sienne, que l’homme est une trinité, comme Dieu. Et cette trinité s’appelle, dans le langage humain : sensation, sentiment, connaissance. Et l’unité de ces trois choses forme la Tétrade humaine, répondant à la Tétrade divine. De là sort toute l’histoire, de là sort toute la politique ; et c’est là qu’il te faut puiser, comme à une source toujours vivante.

— Tu franchis des abîmes que mon esprit, moins rapide que le tien, ne saurait si vite franchir, reprit Spartacus. Comment, de la définition psychologique que tu viens de me donner, sort-il une méthode et une règle de certitude ? Voilà ce que je te demande d’abord.

— Cette méthode en sort aisément, reprit Rudolstadt. La nature humaine étant connue, il s’agit de la cultiver conformément à son essence. Si tu comprenais le livre sans rival d’où l’Évangile lui-même est dérivé, si tu comprenais la Genèse, attribuée à Moïse, et qui,